Elodie Allain, interview d'un professeur invité

Interview de Martial Bellon

Professeure agrégée à HEC Montréal, Elodie Allain intervient pour la quatrième fois à l’EM Strasbourg en tant que Professeur invité. Nous l’avons interviewée sur son parcours et ses récents travaux de recherche, notamment ceux réalisés en collaboration avec Célia Lemaire, membre du laboratoire HuManiS.

 

Bonjour Elodie, pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Après une maîtrise en comptabilité financière pour devenir expert-comptable, j’ai finalement choisi de me diriger vers un doctorat sur les conseils de l’un de mes professeurs de l’Université de Rennes. J’ai travaillé sur un projet de recherche portant sur le calcul des coûts des services d’assurance que j’avais déjà débuté lors de mon mémoire de maîtrise. En 2010, j’ai soutenu ma thèse intitulée « la modélisation des coûts dans le secteur des services : une lecture au travers de l’utilisation de la variable « temps »».

Suite à un semestre d’étude à Montréal où je suis tombée amoureuse de la ville, je voulais emménager au Québec après mon doctorat. J’ai décroché un poste à HEC Montréal que j’occupe depuis maintenant 11 ans. Je dispense des cours notamment en contrôle de gestion, gestion des coûts et comptabilité de gestion. En parallèle, je mène divers projets de recherche et participe à plusieurs projets d’innovation pédagogique.

 

Quels sont vos principaux domaines de recherche ?

Pendant mon doctorat, mon thème de recherche était centré sur le calcul des coûts et toutes les difficultés associées, en particulier dans les sociétés de services. Il est en effet très complexe de définir le périmètre d’un service qui comporte une dimension humaine bien plus importante que pour un produit manufacturé par exemple.

Plus globalement, mes travaux de recherche abordent la notion de quantification, qui comprend le calcul des coûts, mais aussi l’obtention d’une information quantitative dont découlent des indicateurs de performance qui serviront aux prises de décision. J’ai donc travaillé de nombreuses années à l’amélioration de la quantification à travers le costing, mais maintenant, je me tourne plutôt vers l’étude de l’impact de la quantification ainsi que de la manière dont elle est utilisée en entreprise.

Par exemple, j’ai commencé une recherche sur l’évolution du rôle des contrôleurs de gestion avec les nouveaux outils numériques et notamment les outils d’intelligence d’affaires qui permettent d’optimiser les opérations, les processus d’affaires et les prises de décisions.

 

Pouvez-vous me parler plus en détails des projets sur lesquels vous collaborez avec Célia Lemaire, enseignant-chercheur à l’EM Strasbourg ?

Depuis quelques années, Célia Lemaire (HuManiS, EM Strasbourg), Gulliver Lux (Université du Québec à Montréal) et moi-même collaborons sur un projet qui nous tient tous très à cœur.

En 2016, nous avons commencé un travail collectif de recherche sur la performance des établissements médico-sociaux. A ce moment-là, un ensemble de réformes dans le domaine du médico-social ont été adoptées au Québec. Celles-ci ont eu un fort impact sur le secteur et il nous paraissait intéressant d’évaluer leur impact sur le personnel et plus particulièrement les managers de ces structures.

Ces réformes ont mené à une restructuration massive avec la fusion de plusieurs structures avec l’objectif de réduire les budgets et les effectifs. Elles suivent la tendance du « New Public Management » avec beaucoup plus d’optimisation et de rationalisation des coûts, avec un transfert des techniques managériales du privé vers le public.

En réalisant de nombreux entretiens, nous avons pu étudier comment les managers font face aux réformes qui sont trop déshumanisantes pour leur personnel. Pour résister, ils utilisent les outils de comptabilité de gestion, mais renforcent finalement le système qu’ils tentent de combattre, et favorisent la dynamique déshumanisante induite par la réforme.

Grâce à la collecte et à l’analyse de toutes ces informations, nous avons pu écrire un premier article intitulé "Managers' subtle resistance to neoliberal reforms through and by means of management accounting", publié début 2021.

Nous sommes en phase de finalisation d’un second article sur la thématique des intérêts passionnés. Nous avons également publié ensemble un chapitre d’ouvrage intitulé "Visual boards as a medium for a relational-based approach", qui parle de l’impact de l’usage d’éléments visuels dans les outils de gestion de la performance.

Nous avons encore de nombreuses entrevues à analyser donc notre collaboration s’inscrit sur la durée. Comme ces entretiens ont été conduits au Canada, mais aussi en France, nous avons pour projet d’écrire un article comparatif sur les différentes réformes adoptées par les deux pays.

 

Quels sont selon vous les bénéfices et/ou contraintes à collaborer à plusieurs et dans des pays différents ?

Nous sommes chacun dans une université différente, dans des pays différents : Gulliver et moi au Québec et Célia en France, mais nous travaillons régulièrement à distance par visioconférence et organisons des visites, au moins une fois par an.

Effectivement, le travail avance mieux quand on se voit, mais les visioconférences que nous planifions régulièrement (toutes les semaines ou tous les quinze jours en moyenne selon les impératifs) nous permettent de ne pas ralentir la progression du travail. En plus des échanges en ligne, nous faisons « tourner » les papiers sur lesquels on collabore. Chacun lit à tour de rôle le papier afin d’apporter des commentaires, injecter de nouvelles idées et revoir le fil conducteur si nécessaire.

Il n’y a pas de recette miracle pour les collaborations, mais nous avons des intérêts communs et des fonctionnements complémentaires qui permettent à chacun de prendre un rôle de manière informelle qui équilibre l’ensemble.

 

Quel conseil souhaitez-vous donner aux doctorants et jeunes docteurs de l’école ?

Je leur conseillerais d’assister à beaucoup de conférences et le plus tôt possible même s’ils n’ont aucun papier à présenter. Je trouve qu’il est important d’y aller pour écouter les derniers sujets d’actualité, analyser comment les gens posent des questions et échanger avec les chercheurs de différentes universités et nationalités. Il faut tout de même penser à bien cibler les conférences en fonction des champs d’intérêt et des courants de recherche dans lesquels on veut s’inscrire.

 

Merci beaucoup Elodie d’avoir pris le temps de répondre à nos questions !

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